Long format : au centre habitat, un accueil de répit pour tenir
Depuis 30 ans, des enfants confiés à l'Aide sociale à l'enfance passent chez Brigitte. L'un d'eux, Maël, est accueilli régulièrement depuis décembre au centre habitat de l'IME Lelandais, à Villeneuve-d'Ascq, dans le cadre du dispositif "accueil-relais". Des séjours qui permettent à l'assistante familiale de continuer.
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Afin de préserver l'anonymat de Brigitte et des enfants qu'elle accueille, les prénoms des enfants ont été modifiés et le nom de famille de l'assistante familiale n'est pas indiqué.
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Chez Ninou, comme l’appellent les enfants qu’elle accueille, c’est le calme plat et il flotte une douce odeur de brioche prête pour le goûter. Brigitte est assistante familiale employée par le Département du Nord. Elle accueille depuis plus de 30 ans des enfants confiés à l’Aide sociale à l’enfance : « J’ai arrêté de compter à 40 ! »
Quelques années après le début de sa carrière, Brigitte accueille un enfant en situation de handicap quelques week-ends. Une rencontre marquante : « J’ai découvert une autre facette du métier. Etre famille d’accueil, ce sont des défis à relever tous les jours auprès d’enfants qui arrivent abîmés par la vie. C’est encore plus vrai avec des enfants en situation de handicap. Le métier est difficile et je n’ai pas pris le chemin le plus simple mais il y a tellement de bons côtés. Quand un enfant s’en sort, qu’il a une belle vie, on se dit qu’on a tout gagné. Il n’y a pas de cause perdue. Le temps passé dans une famille d’accueil restera gravé et lui permettra de casser la chaîne. »
Quand un enfant s'en sort, qu'il a une belle vie, on se dit qu'on a tout gagné.
Brigitte et son mari ont quatre enfants dont deux adoptés à leur majorité, après avoir été accueillis. Petit à petit, de plus en plus d’enfants porteurs de handicap ou de pathologies lourdes sont accompagnés par l’assistante familiale. Ils sont aujourd’hui trois : Solal, 11 ans, Louise, 17 ans, et Maël, 8 ans.
Joyeuse ribambelle en vacances
Passionnée, Brigitte s’investit à 100% et sollicite des formations pour mieux accompagner les enfants, comme récemment à la langue des signes ou sur les troubles du spectre de l’autisme. L’été, son mari et elle embarquent tous les enfants – les « leurs » et ceux qu’ils accueillent – sur la côte d’Opale. Une joyeuse ribambelle avec des enfants aux comportements moins prévisibles que d’autres, un fauteuil… Les regards insistants et remarques des passants sur cette famille pas comme les autres glissent sur Brigitte. « Le handicap passe au second plan chez nous. On en rit pour préparer les enfants à la vie et on ne s’interdit rien. » Trampoline pour tous, escalade pour certains, restos, ciné, balades… « On tente et on ajuste. J’ai déjà vu trois fois le même film en un après-midi au cinéma. Mon mari s’occupait de deux enfants pendant que j’enchaînais les séances. C’aurait été impossible avec les trois en même temps. »
Pas une minute de répit
Lorsque Maël arrive chez elle, à l’âge de 2 ans, Brigitte ressent le besoin de souffler. « Je n’avais jamais pris de congés avant d’avoir cet enfant. » Porteur de troubles envahissants du développement, le petit garçon – aujourd’hui âgé de 8 ans – demande une attention permanente. « Il a rarement les pieds sur terre. Il saute, il grimpe, il court. Il n’arrête jamais, se met parfois en danger... Je l’appelle “mon Zébulon” ! »
La journée de Brigitte démarre à 6h30 pour un premier départ vers 7h15. Elle se termine parfois à 23 heures, quand Maël accepte enfin de rester dans sa chambre. L’organisation est millimétrée : l’assistante familiale enchaîne lessives, préparation des repas, réunions et coups de fil avant le retour des enfants et les soirées intenses – les yeux rivés sur chacun d’entre eux –, établit des programmes adaptés aux profils des trois enfants… La nuit, elle dort d’un œil.
Il faut aussi doser l’information, préparer Louise, qui a besoin d’anticiper, sans trop en dire à Maël, qui gère moins bien l’attente. Parfois, fatigue physique et psychologique s’accumulent.
Le premier été après l’arrivée de Maël, le petit garçon est accueilli 20 jours chez une autre assistante familiale. Une expérience difficile : « Maël n’arrive pas à trouver sa place dans un noyau déjà formé. » Brigitte découvre le centre habitat en août 2020. Elle connaît déjà l’IME Lelandais qui accompagne Solal en journée, au Cap, et un week-end sur deux, au Phare.
Après un confinement éprouvant, Maël passe des vacances au centre habitat. Une première rassurante pour Brigitte : « Les éduc’ chantent dans les couloirs, l’ambiance est super. Il y a un travail d’équipe, beaucoup d’échanges. » Les professionnels appellent Brigitte qui leur donne des « astuces » pour accompagner Maël et en reçoit en retour. « J’ai vite ressenti l’envie de l’équipe de faire au mieux. Une confiance mutuelle s’est instaurée. Nous travaillons ensemble dans le même sens pour Maël. »
Manque cruel de familles
Depuis le 11 décembre et la création du dispositif accueil-relais, Maël passe un week-end sur deux au centre habitat, en même temps que Solal et Louise dans leurs structures d’accueil respectives. « Les relais sont de plus en plus difficiles à obtenir dans notre métier. Il y a un manque cruel de familles. Cette solution est idéale pour Maël comme pour moi. »
J'adore ce que je fais. J'ai préféré demander des relais plutôt qu'une réorientation.
D’ordinaire toujours à l’affût, Brigitte peut se poser et se reposer. « Dormir sur mes deux oreilles, m’affaler dans mon canapé et, enfin, finir une série ! » Passer du temps à deux avec son mari, très impliqué chaque jour à ses côtés, décider d’une activité à la dernière minute... « Depuis que nous accueillons Maël, il est vital de me ressourcer pour continuer. J’adore ce que je fais. J’ai préféré demander des relais plutôt qu’une réorientation. »
Des accueils qui se complètent
Maël, lui, trouve pour l’instant le centre habitat « nul », comme tout le reste. « Tout est nul sauf la maison. Il a du mal à se détacher, vit tout cela comme une contrainte mais ça viendra. » Les différents accueils de Maël se complètent. Brigitte apporte la sécurité d’un noyau familial. Le centre habitat et la structure qui accompagne Maël en semaine permettent notamment d’accentuer la sociabilisation du petit garçon. « Maël parle, contrairement à Solal et Louise. Il est souvent seul car il n’a pas les bons codes, peut être débordé par ses émotions. Au centre habitat, l’équipe peut travailler avec lui autour de tout cela. »
Préparer les enfants à se détacher
L’accueil relais permet également à Maël de se préparer à se détacher de Ninou, à la retraite dans deux ans. Un processus important aussi pour l’assistante familiale : « Lorsque j’arrêterai, je ne tournerai pas une clef dans une porte sans me retourner. Je ne laisserai pas un dossier derrière moi mais des enfants. » Brigitte essaiera de rester « dans le paysage » de certains d’entre eux. « Garder des liens est bénéfique pour certains mais peut en empêcher d’autres d’avancer. »
Article extrait du magazine PBL n°16 (dossier "répit et accueil temporaire : des solutions pour souffler et avancer")